L’INDUSTRIE DU DISQUE AU CAMEROUN

Depuis les années 2000, peu d’albums d’artistes Camerounais connaissent un succès dans le temps comme les disques de pionniers tels Dina Bell, Ben Decca, Toto Guillaume, Tsana Pierre et bien d’autres. Faute d’information,  de sérieux ou d’encadrement de la part des acteurs de ce milieu, plusieurs produits mis sur le marché sont de mauvaise qualité et ne captivent plus autant les mélomanes. Dans le but d’éclairer et orienter ceux qui désirent se lancer dans le monde musical ou qui s’y trouvent déjà, ce premier dossier d’ARTISTYCAM MAG porte sur l’industrie du disque au Cameroun. Quelles étapes doit suivre un musicien afin de produire un album de qualité professionnelle sur le marché musical ?  
De l’artiste aux maisons de distribution en passant par le producteur, l’arrangeur, quels sont les rôles et attributions de chaque acteur ? Ces questions et bien d’autres trouvent des réponses dans les pages de ce dossier où la rédaction s’est aussi entretenue avec le doyen Isidore Tamwo.

 

 

Report

AU CŒUR D’UNE PRODUCTION

 

Sortir un album demeure difficile pour bon nombre de jeunes Africains dotés de talents. Faute d’informations, ils réussissent rarement à matérialiser leurs idées. De l’idée au produit final, il existe bel et bien des étapes à respecter afin de mettre un disque sur le marché.
L’air enthousiaste et impatient, Eddy âgé de 23 ans est à quelques doigts de savourer son rêve. La raison, il détient l’élément déterminant pour réaliser son album : la maquette. « Elle représente l’aperçu permettant d’asseoir les mélodies », précise un conseiller de l’agence artistique ARTISTYCAM qui encadre et oriente cette future star. Comme plusieurs jeunes Africains, ce Camerounais souhaite devenir un artiste musicien professionnel. Il s’essaie à écrire des textes et les chanter depuis sept années. Mais n’a jamais eu l’opportunité de sortir un disque.
Muni de sa maquette, Eddy peut d’ores et déjà entrer en studio. Pas besoin de recourir à une tierce personne, la famille  
de ce dernier finance la production de l’album. Accompagné d’un photographe et de quelques amis, la star se rend au
studio GHOST NOTE situé au quartier Dakar à Douala. Il arrive à point nommé, car il n’y a pas une grande affluence. L’arrangeur, coordonnateur principal des enregistrements lui consacre tout son temps. Ecoute de la maquette et programmation sont les préliminaires. « Le contenu de la maquette m’oriente dans le travail à effectuer. La programmation quant à elle vise à connecter le piano à l’ordinateur en passant par un câble midi », explique 112 la Momie, responsable du dit studio. Suivant les consignes de l’arrangeur, l’artiste pose la voix principale et les voix témoins. « Ces voix guident les autres intervenants », déclare l’arrangeur. Tour à tour, les guitaristes (guitares rythmiques, solo et Bass) et le batteur jouent et sont enregistrés. La phase instrumentale achevée, les amis de l’artiste viennent faire les chœurs. Ensuite, l’arrangeur procède à quelques réglages en vue d’assigner des sons.
Par rapport au genre musical des titres d’Eddy, l’arrangeur réunit les différentes parties de la chanson grâce au mixage. Puis, il passe au pré Mastering «  ici nous égalisons les morceaux pour qu’ils soient homogènes. Nous assemblons les pièces musicales du C.D dans l’ordre désiré, nous insérons les index des plages et nous créons le fichier final: C.D tape master », relate 112 la momie. C’est au finish cette tape master qui va au mastering, étape au cours de laquelle nous transférons toutes les données. En outre, durant le mastering, l’arrangeur amplifie le son, donne du poids au disque et le compresse. La cohérence entre le poids, le ton et la qualité du son étant établie, le produit peut être livré. En moins d’une semaine, enregistrements et réglages sont terminés au bonheur de l’artiste.
Cette rapidité est normale, quand on sait que cet auteur-compositeur et interprète a  mené personnellement sa pré-production. «  Pour limiter les pertes de temps en studio, la pré- production s’avère nécessaire. Elle consiste à déterminer d’abord les titres de son disque, les minuter et choisir l’ordre de passage.  Aussi, il faut concevoir la grille de structure qui aide l’artiste à se rappeler les différents intervenants des chansons », argue un conseiller artistique. Détenant son album en main, Eddy se dirige vers un autre studio pour réaliser  les jaquettes et pochettes. Avec l’aide du précédent arrangeur, il a au préalable conçu la fiche technique. Tous les acteurs du travail y figurent : auteur compositeur, interprète, musiciens, producteur ainsi que les remerciements. Une troisième escale est faite au studio graphique pour pressage et estampillage. La dernière étape pour la nouvelle star consiste à  protéger ses œuvres. Ceci étant fait, le bijou d’Eddy a juste besoin d’une campagne promotionnelle dynamique et d’adéquates stratégies de distribution pour être vendu à des millions d’exemplaires.

 

MILIEU MUSICAL : ROLES ET ATTRIBUTIONS DES ACTEURS

Il a été  constaté qu’au Cameroun les différents acteurs du milieu artistique ne maitrisent pas ou peu les contours de leur tâche. D’où l’importance de revenir sur les différents rôles que doivent jouer auteurs, compositeurs, interprètes, producteurs-éditeurs, distributeurs et toutes les autres forces en présence.

Avant tout, définissons de façon succincte celui qui est au centre de cette industrie : l’artiste-musicien. D’un point de vue professionnel, ce dernier est la personne ou le groupe qui porte un projet musical et lui donne son nom. Il peut s’agir du compositeur, de l’auteur ou de l’interprète, de l’arrangeur, des maisons de disques.
L’auteur est celui qui est à l’origine de la rédaction d’un texte. Généralement, c’est lui qui donne vie à l’œuvre musicale.
 Quant au compositeur, il est à la base de la réalisation de la mélodie, il impulse la dynamique de création d’une mélodie.
L’interprète à son niveau prête sa voix dans une chanson qu’il n’a pas écrite.  Il ne peut donc pas bénéficier des droits d’auteurs.
Le producteur est une personne morale ou physique qui  se charge des frais de réalisation d’un disque. Le producteur et l’artiste sont liés par un contrat. Notons que chez les Anglo-saxons, le producteur désigne celui qui « fabrique » l’instrumental d’un morceau. Ce producteur est traduit en français par « compositeur-arrangeur-ingénieur de son ».
En tant qu’alter ego de l’artiste, le manager se charge en principe uniquement des questions « business ». Le label (en français, maison de disques) est une structure d’encadrement de l’artiste. Le label peut également être directement le producteur de la musique de ses artistes, on parle alors de « contrat d’artiste ».
En ce qui concerne l’attaché de presse, il s’occupe de la promotion de l’album auprès des médias (achats d’espaces dans les magazines, panneaux d’affichage, sites internet, radios, télés, le « street marketing » c’est-à-dire les flyers, étiquettes, affichages sauvages) et des organisateurs de spectacles. Le métier repose donc sur une parfaite connaissance des personnes importantes à contacter et une grosse force de persuasion.
L’éditeur musical pour sa part, protège et gère les droits d’un auteur ou d’un compositeur.
Un distributeur est un grossiste qui se charge de vendre les cd par le canal de ses points de vente ou de ses commerciaux.
Rappelons que l’artiste et le producteur sont tenus de protéger leurs œuvres pour bénéficier des droits requis. Au Cameroun, les œuvres doivent porter l’estampille de la SOCAM puisqu’il s’agit ici de la seule structure représentative en charge de la gestion des droits d’auteurs. La musique a beau être un art, elle n’en demeure pas moins liée aux réalités très matérielles de l’industrie du disque.

Avis d’expert

 

Auteur compositeur, chanteur et interprète, il est dans l’industrie du disque depuis une trentaine d’années. Comme Dina Bell, Ben Decca et autre Ekambi Brillant, il est considéré comme un doyen de la musique Camerounaise. Rencontré par notre équipe de rédaction pour évoquer les problèmes de l’industrie du disque au Cameroun, Isidore TAMWO se livre.

 

Vous avez une quinzaine d’albums à votre actif. Quel est votre apport dans le milieu du disque au Cameroun ?
 En termes d’apport, je travaille en étroite collaboration avec le studio Makassi de SAN FAN Thomas pour l’encadrement des artistes et la réalisation de leurs albums. De commun accord avec d’autres doyens de la musique Camerounaise comme Henri NJOH, Johnny TEZANO, Dina BELL et bien d’autres, nous avons mis en place le Syndicat des Artistes Musiciens du Cameroun (SAMCA) depuis 2007 afin de défendre les intérêts des artistes. Il est vrai que la plupart des artistes Camerounais  ne savent pas encore la bien fondé d’un syndicat, mais nous avons mené des actions comme : l’accès des artistes aux événements officiels avec billets d’honneur, l’élaboration d’un mémorandum visant l’amélioration du statut de l’artiste musicien. Ledit mémorandum a été adressé au gouvernement et nous attendons la suite.  Entre temps, d’autres projets sont en cours.


Quel regard portez-vous sur l’industrie du disque au Cameroun ?
 Tout dépend de l’époque dans laquelle on se situe. Dans les années 80, les artistes se déportaient à Paris munis de leurs maquettes pour la réalisation de leurs albums. A cette époque c’étaient des disques « VINYLE » : même les pochettes vinyle, les posters, tout était fait à l’étranger. Les artistes ne vivaient que de la vente des disques, la piraterie n’existait pas. L’industrie du disque se portait donc bien. Dès la fin des années 90, les unités de gravure inondent le marché et on peut dès lors produire des C.D localement Les producteurs et distributeurs s’en sortent tout de même, car les commandes sont importantes. Mais depuis les années 2000 avec l’arrivée des ordinateurs, la piraterie s’est installée et cause une chute drastique de la vente des C.D de 80%. Les C.D originaux se font rares puisque les gens se contentent de faire des copies. Contrairement à l’Europe, en Afrique il n’existe pas de véritable système de téléchargements payants. La plupart des consommateurs se ruent vers les copies vendues généralement à 500fcfa voire 200fcfa l’unité. La résultante est que les unités de fabrication ne s’en sortent plus et la vente des C.D originaux devient difficile. A l’heure actuelle, cette industrie connait de sérieux problèmes, car rares sont les éditeurs encore capables de tirer 10000 exemplaires.


Quelles sont les normes que les œuvres musicales doivent respecter en termes de qualité ?
Je dirais qu’un bon disque c’est un bon studio avec un arrangeur confirmé et consciencieux. Le studio doit avoir une qualité de son irréprochable. Il n’y a pas mille manières d’avoir un bon disque : de la maquette au produit final chaque acteur doit veiller à la qualité de son travail et éviter la facilité.


Selon vous les œuvres musicales Camerounaises respectent-elles ces normes ?


En réalité, non. Je me souviens que dans les années 80, il fallait effectuer près de 6000km pour réaliser un disque. Et j’avoue qu’à cette époque les artistes ne s’amusaient pas, de la maquette au produit final chaque étape était prise au sérieux. La preuve, écoutez n’importe quel vinyle et vous y ressentirez une bonne qualité de son.  De plus les mélomanes continuent de savourer avec gaieté ces mélodies malgré leur ancienneté. Aujourd’hui, il y a une réelle perte de valeur.  D’une part, les artistes se jettent dans la facilité en réalisant des disques médiocres dans des « Home Studio ». D’autre part, les média ne diffusent pas toujours des musiques de qualité. Pour peu que vous ayez de l’argent, votre produit est diffusé dans les chaines de Radio et de télévision. Actuellement, faute de qualité, les disques qui sont produits ne connaissent pas un succès dans le temps.


 En tant que pionnier de l’industrie du disque au Cameroun, quel conseil pouvez-vous prodiguer aux jeunes qui veulent s’investir dans ce domaine ?
L’industrie du disque au Cameroun n’étant pas facile à gérer, je conseille à chaque jeune qui s’y lance d’avoir un modèle. S’il travaille dur pour incarner l’image de ce père spirituel et se forge une mentalité de meilleur, il réussira.

 

 

La rédaction d'artistycam Mag Tous droits reservés



23/09/2010
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